Coopératives, gouvernance et modernité

Par Antoine de Roffignac

Les coopératives pèsent aujourd’hui en France près de 30 % du commerce de détail et 40 % de l’industrie agro-alimentaire. Et leurs parts de marché ne cessent de croître.

Mutualisation, solidarité, démocratie

Pourtant, le modèle coopératif est largement méconnu. Il repose sur trois principes : la mutualisation, la solidarité et la démocratie. Mutualisation par les coopérateurs de moyens matériels et humains, solidarité par le partage du savoir-faire développé par certains au bénéfice de tous, démocratie d’une gouvernance dont la règle est « un homme, une voix » : quelle que soit sa part de capital, chacun participe sur une base égalitaire à la prise de décision, à commencer par la désignation des administrateurs.

Les coopérateurs sont tout sauf des idéalistes. Ils voient d’abord dans leur forme d’organisation le meilleur moyen d’assurer leur réussite individuelle, et leur esprit d’entreprise imprègne le système tout entier.

complémentarité, clarté, confiance : les clés de la gouvernance

La gouvernance des coopératives est complexe. Cette complexité tient à la double qualité des sociétaires. En tant qu’utilisateurs ou fournisseurs de services et de produits, ils sont en relation d’affaires directe avec leur groupement. En tant qu’actionnaires, leur relation est toute autre : ils en attendent une performance de gestion, une vision collective, un projet d’entreprise.

L’exercice collectif du pouvoir n’est pas plus aisé dans les entreprises coopératives qu’au niveau politique. Comme dans toute démocratie, le pouvoir doit être délégué à quelques uns. Et il leur est beaucoup demandé…

A la fois représentants des intérêts du terrain auprès de la structure centrale et administrateurs au sens classique du terme, il leur faut trouver un équilibre subtil entre des objectifs à première vue contradictoires : satisfaire les besoins individuels des adhérents mais en même temps leur imposer les contraintes d’une gestion collective, se concentrer sur l’opérationnel au jour le jour mais aussi mettre en œuvre des stratégies de moyen terme, redistribuer les excédents de gestion à ceux qui les ont générés tout en conservant les moyens de financer la croissance.

Les contraintes de disponibilité et la nécessité de recourir à des expertises de plus en plus pointues conduisent souvent les administrateurs élus à déléguer la gestion opérationnelle à des équipes de professionnels. Elles apportent au groupement leurs connaissances techniques, leurs compétences managériales et l’expérience acquise dans d’autres environnements. Certaines coopératives matérialisent cette délégation de pouvoir en dissociant le mandat de président, exercé par un adhérent élu au conseil d’administration, de la fonction de directeur général, confiée à un cadre dirigeant extérieur. D’autres, minoritaires, vont jusqu’à mettre en place une structure à conseil de surveillance et directoire.

La coopération d’hommes et des femmes de terrain élus par leurs pairs d’une part, et d’équipes de gestion venant d’autres horizons d’autre part, est délicate. Elle peut être source de défiance ou de compétition de pouvoir. Mais la combinaison de ces cultures et de ces expériences différentes peut aussi être porteuse d’une grande richesse si leur alliance repose sur le respect et la confiance réciproques :

  • respect de la complémentarité des compétences et des domaines d’intervention de chacun, dans une définition claire des rôles et responsabilités
  • confiance en l’autre, qui passe par la fixation d’objectifs pleinement partagés, par l’adhésion du management aux valeurs coopératives, par une communication fluide et transparente entre cadres et membres du conseil d’administration.

Le bon fonctionnement de cette alliance dépend pour une large part de la qualité de la relation établie entre le président et le dirigeant opérationnel. Leur tandem constitue la clé de voute de la gouvernance des coopératives.

La délégation de la gestion opérationnelle à des équipes professionnelles ne doit pas conduire les élus à s’en éloigner. La force du modèle coopératif vient de ce que, par définition, toute décision est orientée vers la satisfaction de l’adhérent, « client » ou « fournisseur » de son groupement. La connaissance de ses besoins, son implication dans le processus de décision sont nécessaires. C’est pourquoi à côté des comités d’audit ou des comités financiers, des commissions mixant sociétaires représentant le terrain dans sa diversité, élus et cadres jouent un rôle important sur des sujets très opérationnels : achats, politique commerciale, communication, marketing, formation, etc …

Le bon fonctionnement de ces groupes de travail dépend aussi de la clarté de ce qu’on en attend d’eux. Leur feuille de route doit refléter les priorités fixées par le conseil d’administration, leur liberté d’action vis-à-vis du conseil d’administration ou de la structure permanente ainsi que les modalités pratiques de leur fonctionnement doivent être précisément définies.

La responsabilité première des administrateurs des coopératives est de s’assurer que le contrat de base avec le sociétaire est en permanence respecté. Mais leur proximité avec l’opérationnel ne doit pas les détourner de leur responsabilité stratégique : ils sont aussi en charge d’un destin collectif au sein d’organisations opérant sur des marchés concurrentiels, confrontées à des concurrents puissants aux moyens financiers parfois considérables.

La vision stratégique qui leur est demandée suppose une prise de distance par rapport au quotidien, une analyse en profondeur des marchés, une capacité de projection dans le futur, une ouverture à l’International auxquels les adhérents sont généralement peu préparés au moment où ils sont élus au conseil d’administration. Ils doivent non seulement acquérir rapidement cette dimension mais aussi savoir communiquer et partager auprès de leurs pairs les décisions qui en résultent. Exercice difficile ! L’expérience démontre cependant que la connaissance intime du terrain peut alimenter des décisions stratégiques à la fois ambitieuses et réalistes.

Malgré la complexité de leur gouvernance, les groupements coopératifs – et mutualistes – sont souvent des acteurs majeurs de leur marché dans des domaines aussi divers que la distribution, l’agro-alimentaire, la banque ou l’assurance.

Leur succès interpelle.

la Modernité du modèle coopératif

A bien des égards, les coopératives prennent le contre-pied du modèle « financiarisé » dominant. La gestion des entreprises est trop souvent guidée par les cours de bourse au jour le jour ? L’horizon de temps de la coopérative est celui de ses adhérents : une vie entière voire plus quand les générations se succèdent. L’instabilité du capital entraine de brutaux changements d’actionnaires ? Contrôlées par leurs sociétaires, les coopératives ne sont pas OPAbles. Les délocalisations appauvrissent le tissu économique national ? Par leur maillage, les coopérateurs ancrent leur groupement dans les profondeurs du territoire. L’emploi est utilisé comme variable d’ajustement des résultats ? L’individu, son développement économique mais aussi son épanouissement personnel sont au cœur du système coopératif.

Loin des marchés financiers, de grands groupes coopératifs ont su acquérir des positions de leader dans des environnements hautement concurrentiels, en France comme à l’International. Par le développement d’activités en amont, en aval ou en complément de leur métier de base, par des politiques d’alliance, des acquisitions, la filialisation d’activités alors gérées dans une optique classique de rentabilité, ils ont accru leur puissance d’achat, ouvert de nouveaux marchés, diversifié leurs gammes d’activités.

Parce que ces développements bénéficient à leurs adhérents et parce que leur gouvernance reste démocratique, ces groupes leaders sont pleinement fidèles à l’esprit coopératif.

Les coopératives se sont développées au 19ème siècle en réaction au capitalisme industriel triomphant. Et si, loin d’être archaïques, en ce début du 21ème siècle qui connait les excès du capitalisme financier, elles étaient porteuses d’une vraie modernité ?

 

A propos d’Associés en Gouvernance

Associés en Gouvernance, société de conseil indépendante, accompagne tous les acteurs de la gouvernance des entreprises, quelles que soient leur forme juridique et leur taille. Elle les aide à renforcer l’efficacité des leurs instances d’administration et de direction. Parce qu’une bonne gouvernance est un accélérateur de performance et un gage de pérennité.

A propos d’Antoine de Roffignac

Antoine de Roffignac été membre du comité de direction Finance Europe d’un grand groupe multinational, puis directeur général et administrateur d’un groupe coopératif majeur, leader de son marché. Il exerce depuis plus de 20 ans des mandats d’administrateur. Associé de la société Associés en Gouvernance, Antoine de Roffignac est l’auteur d’articles sur la gouvernance des entreprises, notamment dans le secteur coopératif et mutualiste.

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