Evaluation des conseils : quoi de neuf ?

Evaluation du conseil d'administration - Gouvernance

Par Pascal Durand-Barthez – Décembre 2022

L’évaluation du conseil et de ses comités, pratique de bonne gouvernance de l’entreprise, donne encore lieu à quelques interrogations lors de sa mise en œuvre.

On peut bien sûr se demander s’il s’agit d’une formalité visant seulement à remplir une des multiples obligations de reporting qui semblent s’accumuler inexorablement au risque d’étouffer les entreprises. Le bon sens indique cependant que, si l’on reconnait que le fonctionnement optimal du conseil et de ses comités est une condition indiscutable de la bonne gouvernance de l’entreprise, il est nécessaire de vérifier régulièrement ce qu’il en est.

Le rapport annuel pour 2022 du Haut Comité de Gouvernement d’Entreprise (HCGE) montre que 100% des sociétés du SBF 120 ont respecté la règle, et cette haute proportion n’est pas nouvelle (91% en 2012). Le dernier Panorama de la Gouvernance publié par EY et Labrador analyse un échantillon composite de 240 sociétés comprenant le SBF 120, 40 sociétés plus petites de l’index CAC All-Tradable et les plus grandes capitalisations allemandes, britanniques, néerlandaises et italiennes. On y lit que 73% de ces sociétés ont procédé à leur évaluation annuelle et 23% à l’évaluation triennale. Mais dès qu’on s’éloigne de la cohorte des grandes entreprises cotées, on peut se demander s’il en est de même.

Malheureusement, on ne dispose pas, pour la grande majorité des entreprises, des mêmes informations que pour les sociétés cotées qui sont obligées de communiquer au public. L’expérience d’Associés en Gouvernance, qui repose largement sur les groupes familiaux non cotés, montre cependant que la demande pour le service d’assistance à cette pratique augmente régulièrement.

La perception par les administrateurs eux-mêmes de la qualité de leur contribution à la direction de la société est bien sûr un élément indispensable pour permettre au président d’exercer efficacement ses fonctions. L’évaluation apporte aussi d’autres avantages. Tout d’abord, elle est un instrument clef pour l’élaboration des plans de succession, puisqu’elle permet de réfléchir collectivement non seulement sur le fonctionnement du conseil, mais aussi sur sa composition. Elle va donc guider l’élaboration des propositions que fera le conseil à l’assemblée générale pour les renouvellements de mandats. D’autre part, elle devient un élément important du dialogue entre le conseil et les actionnaires, qui veulent désormais s’assurer que le processus d’évaluation est bien mis en œuvre. En effet, ils s’impliquent de plus en plus dans le choix des administrateurs, à l’heure où l’on recherche une plus grande diversification de la composition des conseils pour optimiser l’éventail des compétences.

Deux questions délicates

L’application des recommandations des codes de gouvernement d’entreprise pose deux problèmes particuliers.

Le premier est lié à la précision selon laquelle l’évaluation doit permettre « d’apprécier la contribution effective de chaque administrateur aux travaux du conseil ». C’est un aspect que les sociétés ont longtemps été réticentes à appliquer à la lettre : cela risque en effet d’être perçu par certains comme une incitation à une forme d’autocritique voire, s’il s’agit d’apprécier la contribution de leurs collègues, à une forme de délation à laquelle la culture française est hostile. Le HCGE, constatant cette réticence, a indiqué dans son rapport annuel de 2017 qu’il attachait de l’importance à cette recommandation, et a réitéré cette remarque par la suite. En particulier, il considère que l’explication selon laquelle cette pratique est contraire au principe de collégialité du conseil n’est pas acceptable. Sans doute grâce à ses efforts « pédagogiques », la règle est maintenant mieux respectée (à 60%) par les sociétés du SBF 120.

L’AMF se préoccupe aussi du sujet, et a demandé à plusieurs reprises au Medef et à l’AFEP, au titre des « pistes de réflexion » présentées dans ses rapports annuels, de préciser ce qui est attendu par leur code en matière d’évaluation individuelle. Incidemment, elle a indiqué que l’application de cette disposition ne peut être une raison d’en écarter une autre, celle relative aux sessions dites « executive » c’est-à-dire des réunions tenues en l’absence des dirigeants exécutifs qui sont souvent consacrées à tirer les conséquences de l’évaluation.

La deuxième difficulté tient à la nature de la communication qui doit être faite à l’issue de l’exercice d’évaluation. A la lecture des rapports annuels des sociétés du SBF 120, on est souvent déçu par le caractère un peu formel, voire répétitif, de la relation qui en est faite. Pourtant, au-delà du respect de la recommandation des codes pour les sociétés cotées, cette information est importante pour les actionnaires dans toutes les sociétés, et a vocation à figurer dans le rapport annuel de gouvernement d’entreprise des sociétés anonymes. C’est le cas notamment des aspects liés à la préparation des successions des administrateurs et des dirigeants exécutifs. Par exemple, dans les groupes familiaux, les actionnaires qui ne sont pas impliqués activement doivent savoir que ce sujet est traité collégialement de façon professionnelle et non dans l’opacité. Pour autant, il n’est pas question de divulguer nominativement les recommandations du conseil concernant les successions, au risque de créer des perturbations indésirables.

Il est important aussi que la communication fasse état des actions décidées par le conseil concernant son fonctionnement. Les administrateurs doivent pouvoir assurer un suivi des décisions qu’ils ont prises à la suite de chaque évaluation. Par ailleurs, il est de bonne pratique que le président du conseil ait des entretiens individuels avec les administrateurs ou au moins certains d’entre eux à l’issue de l’exercice.

 

Ces deux aspects liés à l’appréciation de la contribution individuelle et à la communication des résultats sont une raison de préférer le recours à l’assistance extérieure d’un « facilitateur » externe (c’est d’ailleurs obligatoire pour l’évaluation triennale des grandes sociétés selon le code de gouvernance anglais).

Les entretiens individuels, qui sont toujours infiniment plus riches que la simple réponse à un questionnaire, se déroulent alors plus librement que s’ils sont conduits par un autre administrateur, par le secrétaire du conseil même s’il a un calibre qui lui assure une certaine indépendance, et bien entendu par le président lui-même.

Le consultant expérimenté doit savoir comment moduler le compte-rendu qu’il fera de sa mission auprès de son « donneur d’ordre » (président du conseil, président du comité des nominations ou de la gouvernance, ou administrateur référent) et auprès du conseil, et enfin dans le projet de communication aux actionnaires.

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