Par Pascal Durand-Barthez – juin 2021
Il se passe peu de temps sans que des réformes législatives ou réglementaires ne viennent modifier le cadre de la gouvernance d’entreprise. Après les changements substantiels apportés par les lois Macron (2015), Sapin II (2016) et PACTE (2019), le législateur français s’est surtout préoccupé des conséquences de la pandémie Covid 19 sur le fonctionnement des organes de gouvernance. Mais l’heure va revenir bientôt de nouvelles réformes dans une perspective de long terme. Et elles vont venir de l’Europe.
Le processus législatif européen est par nature laborieux, puisqu’il faut concilier non seulement les intérêts de 27 Etats mais encore les positions de trois organes jaloux de leurs prérogatives : la Commission, le Parlement et le Conseil. Les développements des réformes successives sont relatés périodiquement par la presse, et il est parfois difficile d’y voir clair.
Les projets en cours portent principalement sur deux thèmes connexes : l’environnement et la gouvernance « inclusive et durable ».
Un élargissement massif du reporting extra-financier
En ce qui concerne le premier thème, le cadre de l’action a été défini par une Communication de la Commission adoptée en 2019, le « Pacte Vert pour l’Europe » (Green Deal).
Les principaux axes envisagés concernent au premier chef les investisseurs, pour les inciter à ne pas privilégier les objectifs de court terme. Cela implique l’élaboration d’une classification crédible des activités considérées comme écologiquement durables (la « taxonomie ») et le renforcement des obligations de divulgation. C’est l’objet du Règlement Taxonomie du 18 juin 2020, qui définit cinq critères permettant de qualifier de durable un investissement : contribution à l’atténuation du changement climatique, protection de l‘eau et des ressources marines, transition vers une économie circulaire, prévention et contrôle de la pollution, protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Il a été suivi de six « actes délégués » (sortes d’ordonnances adoptées par la Commission) pour l’application du Règlement, promulgués le 4 juin 2021.
L’autre pièce maîtresse de l’action sur ce thème est la nouvelle directive relative aux rapports des entreprises sur le développement durable (Corporate Sustainable Reporting Directive, CSRD).
Elle a fait l’objet d’une proposition de la Commission publiée le 21 avril, modifiant la directive de 2014 sur le reporting extra-financier (NFRD). Outre le changement de dénomination lourd de symbolique, les principaux changements sont un élargissement massif de la portée du texte (de 11 600 à environ 49 000 entités), une normalisation des informations devant être présentées par les entreprises de façon plus détaillée et digitalisée, et des obligations d’audit (« assurance ») par des tiers. La proposition est en cours de consultation publique.
Devançant l’achèvement de ces travaux, le gouvernement français a d’ailleurs mis en place une plateforme dénommée « Impact » pour permettre aux entreprises de publier leurs données environnementales, sociales et de bonne gouvernance (ESG).
Vers une redéfinition des responsabilités des administrateurs et de la raison d’être
L’autre initiative de la Commission dans ce domaine donne lieu à plus de controverses. Il s’agit d’une « législation en matière de gouvernance d’entreprise durable ». Le projet a été préparé par une étude de l’Université d’Oslo, dite « Smart project » commandée par la Commission et publiée en 2019, puis une étude commandée au cabinet EY, publiée en juillet 2020. Toutes deux fustigeaient l‘état de la réglementation actuelle sur la gouvernance en Europe, affirmant qu’elle est totalement guidée par la protection de l’intérêt à court terme des actionnaires. La deuxième de ces études a donné lieu à une avalanche inusitée de critiques et de réprobations, émanant tant des milieux universitaires que des milieux d’affaires. La Commission a ensuite lancé une consultation publique de juillet à octobre 2020, qui a reçu plus de 500 000 réponses, et une étude d’impact. Le Parlement européen n’est pas en reste et a commandé aussi de son côté des études sur les mêmes thématiques.
Tout cela devrait déboucher sur des textes redéfinissant les responsabilités des administrateurs (directors duties) et la raison d’être (purpose) des sociétés en y introduisant la notion de durabilité, ainsi que des obligations de due diligence s’imposant à celles-ci sur leur chaîne de valeur.
On retrouve tout à fait les réformes récentes en droit français, loi PACTE et loi de 2017 sur le Devoir de vigilance des entreprises mères et donneuses d’ordres.
En attendant, le projet de la Commission a essuyé un revers significatif, le Comité d’examen de la réglementation, organisme indépendant qui conseille le collège des commissaires, ayant rejeté en mai 2021 l’étude d’impact comme insuffisamment précise. Le texte de la future directive ne sera donc pas connu avant plusieurs mois.
Et ce n’est pas tout
Deux autres thèmes méritent l’attention des administrateurs. Tout d’abord, il faut rappeler la Directive du 25 novembre 2020 « relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs » (les class actions), qui devra être transposée en droit national avant juillet 2023. Là encore, on retrouve les principaux éléments de la législation française sur les actions de groupe, adoptée en 2014, réformée à plusieurs reprises depuis, mais relativement peu utilisée.
Mais on peut s’attendre à ce que, comme dans des circonstances précédentes, le gouvernement français ne saisisse l’occasion pour renforcer la réglementation existante.
Enfin, dans une perspective sans doute plus lointaine, la Commission a annoncé son intention de réviser à nouveau la Directive du 16 avril 2014 concernant l’audit, en réaction au scandale Wirecard en Allemagne.
Pour les administrateurs, tout cela implique une vigilance renforcée. Dans l’immédiat, ils doivent s’assurer que la société se prépare à satisfaire aux nouvelles exigences plus lourdes en matière de reporting extra-financier, sans oublier que ce sont les conseils d’administration qui sont les signataires des rapports. En ce qui concerne les mesures destinées à encourager la « gouvernance durable », et celles en faveur des actions collectives, ils doivent s’assurer de disposer d’une veille juridique qui leur évitera d’être pris par surprise quand les réformes envisagées deviendront effectives.