Par Antoine de Roffignac
La difficulté des gouvernements occidentaux à réformer un système économique qui apparait à bout de souffle, ou même à atténuer les conséquences sociales de ses dysfonctionnements, génère une perte de confiance croissante dans le système et dans le classe politique, et plus largement dans les institutions et les élites.
Les entreprises n’échappent pas à ce climat de défiance, y compris en interne où l’on rencontre trop souvent scepticisme et démotivation, alors qu’elles ont plus que jamais besoin de collaborateurs confiants et engagés.
Dans ce contexte général de crise de confiance, les entreprises coopératives et mutualistes font à bien des égards figure d’exception. La confiance fait en effet partie de leurs gènes.
Cette forme particulière d’entreprise se caractérise par un principe de gouvernance démocratique – « un homme, une voix » – et par la double qualité de leurs adhérents qui sont à la fois clients et parfois fournisseurs, et actionnaires de leur coopérative ou de leur mutuelle. Ils coopèrent au projet commun en partageant leur savoir-faire et en mutualisant des moyens matériels, financiers, humains dans un esprit de solidarité.
L’adhérent, appelé aussi sociétaire, est au cœur de leur fonctionnement.
Sa relation à l’entreprise à laquelle il a adhéré est particulièrement forte, car il en attend la satisfaction de ses intérêts économiques en tant que client comme de ses intérêts d’actionnaire.
Il n’y a pas de relation durable sans confiance
C’est pourquoi les acteurs de la gouvernance des coopératives et des mutuelles s’attachent tout particulièrement à créer les conditions d’une confiance sans cesse renouvelée de l’adhérent envers l’entreprise et ses dirigeants.
Le succès de groupes coopératifs et mutualistes qui occupent des positions de leader dans des secteurs aussi variés que la grande distribution et la banque, le commerce spécialisé et les services, l’industrie agro-alimentaire et l’assurance montre à l’évidence que les acteurs de leur gouvernance savent créer et maintenir les conditions de cette confiance.
Il n’existe pas de recette unique pour « gouverner par la confiance » : chaque coopérative, chaque mutuelle est particulière par son histoire, sa taille, son marché, par le profil de ses adhérents et celui de ses dirigeants. L’organisation et le fonctionnement de leur gouvernance, s’ils répondent à des principes communs, traduisent cette diversité.
Des constantes se dégagent néanmoins de l’observation des coopératives et mutuelles les plus performantes.
Ecouter, impliquer, expliquer
Gagner et conserver la confiance des adhérents, c’est d’abord s’assurer en permanence de la solidité du « pacte coopératif ». La coopérative ou la mutuelle doit satisfaire les attentes individuelles des adhérents en termes de coûts, de produits, de services, mais aussi développer et mettre en œuvre des stratégies collectives d’entreprise.
Répondre aux attentes opérationnelles des adhérents suppose d’abord de bien les connaître. La rencontre régulière des élus au Conseil d’Administration avec les adhérents dans toute leur diversité de taille et d’implantation géographique est une pratique très répandue, qui certes consomme du temps mais constitue un investissement générateur de confiance. Cette relation directe de proximité est aussi vécue par le terrain comme une marque de considération.
L’écoute sincère, régulière des adhérents s’accompagne généralement de leur implication en amont du processus de décision. Leur participation à des groupes de travail, pour être efficace, doit s’inscrire dans un cadre organisé. Ces groupes thématiques, temporaires ou permanents, constitués au niveau régional ou national, ne doivent pas se substituer au rôle décisionnaire du Conseil d’Administration : il lui revient de fixer leur composition et leur feuille de route.
Dans un monde concurrentiel et ouvert, les coopératives et les mutuelles ne peuvent se contenter de gérer l’opérationnel au jour le jour. Elles doivent aussi pour préparer l’avenir développer des stratégies de moyen terme et y allouer les ressources nécessaires.
Il est illusoire pour les élus de vouloir « vendre » aux adhérents des projets stratégiques, de leur parler en tant qu’actionnaires s’ils ne sont d’abord satisfaits en tant que clients. C’est sur ce socle que tout projet stratégique doit être explicité. Si son bénéfice pour l’adhérent n’est pas direct ou immédiat, il faut alors lui donner du sens en démontrant l’interdépendance des intérêts individuels et de l’intérêt collectif.
Cet exercice de pédagogie sera facilité si, au préalable, une ambition collective et des objectifs de moyen terme ont été définis, en concertation avec les adhérents, et qu’ils sont fondés sur des valeurs partagées au premier rang desquelles figurent les valeurs coopératives et mutualistes.
Ecouter, impliquer, expliquer : une communication régulière, ouverte, transparente est essentielle pour créer la confiance. Les nouvelles technologies en sont un élément facilitateur mais ne peuvent se substituer aux rencontres physiques, car l’humain est au cœur du modèle.
Elus et dirigeants exécutifs : une communauté d’acteurs organisée
La qualité de l’exécution des décisions prises par le Conseil d’Administration dépend de la qualité de la relation existant entre les élus et la direction exécutive, et donc de leur confiance réciproque. L’expérience professionnelle des dirigeants opérationnels, leurs compétences techniques et de management en sont des conditions nécessaires mais non suffisantes.
Les valeurs coopératives et mutualistes imprègnent la culture d’entreprise et tout son fonctionnement. Certains cadres appelés à des fonctions de direction répondent bien aux compétences requises. Pourtant, ils ne parviennent pas à s’intégrer à l’entreprise car ils n’en saisissent pas les ressorts profonds. Tout élu impliqué dans le recrutement d’un dirigeant salarié doit exposer les valeurs coopératives et vérifier que le candidat les comprend et y adhère.
La légitimité des élus vient de leur élection démocratique qui leur donne une autorité particulière. Adhérents eux-mêmes, ils maîtrisent particulièrement bien les sujets opérationnels. La clarification des responsabilités des élus et des dirigeants opérationnels est nécessaire pour éviter la confusion des rôles, voire les conflits de pouvoirs.
Sans créer de carcan juridique, les descriptions de fonctions et les délégations de pouvoirs doivent traduire la primauté politique des élus, la responsabilité managériale et exécutive des cadres dirigeants, et organiser dans la clarté et la complémentarité leurs interactions.
De plus en plus fréquemment, cet exercice de clarification s’accompagne de formations sur le rôle et la responsabilité de l’administrateur et d’évaluations périodiques du fonctionnement du Conseil d’Administration.
La clarté des rôles est un facteur de confiance tout particulièrement entre le Président du Conseil et le dirigeant opérationnel. La performance de la coopérative ou de la mutuelle dépend largement de la qualité de leur relation. Leur tandem constitue le pont qui relie le monde des adhérents à celui des « permanents », qui s’assure de la compréhension réciproque des attentes et des contraintes et qui doit parfois réconcilier des objectifs contraires. Il est la clé de voûte de la gouvernance.
Dans les coopératives et mutuelles les plus performantes, on constate qu’il n’existe pas de rapport de force entre ces deux piliers de la gouvernance. La force de l’un vient de la force de l’autre. Au-delà de la nécessaire compatibilité de leurs caractères, la confiance qu’ils établiront entre eux dépendra de la capacité de chacun à s’adapter à la culture et à l’expérience de l’autre et d’une communication interpersonnelle fluide, exhaustive et bienveillante.
2012 a été décrétée par l’ONU année internationale des Coopératives.
Son Secrétaire général a déclaré : « Se fondant tout particulièrement sur la notion de valeurs, les coopératives ont montré qu’elles constituaient un modèle commercial, robuste et viable, susceptible de prospérer même pendant les périodes difficiles ».
La crise de 2008 et les crises qui se succèdent depuis montrent qu’il nous faut réinventer un nouveau modèle économique, politique, social, environnemental.
Mettant l’individu au cœur de leur fonctionnement et la confiance au centre de leur gouvernance, les coopératives et les mutuelles méritent en effet d’être mieux connues pour être source d’inspiration.
A propos d’Associés en Gouvernance
Associés en Gouvernance, société de conseil indépendante, accompagne tous les acteurs de la gouvernance des entreprises, quelles que soient leur forme juridique et leur taille. Elle les aide à renforcer l’efficacité des leurs instances d’administration et de direction. Parce qu’une bonne gouvernance est un accélérateur de performance et un gage de pérennité.
A propos d’Antoine de Roffignac
Antoine de Roffignac été membre du comité de direction Finance Europe d’un grand groupe multinational, puis directeur général et administrateur d’un groupe coopératif majeur, leader de son marché. Il exerce depuis plus de 20 ans des mandats d’administrateur. Associé de la société Associés en Gouvernance, Antoine de Roffignac est l’auteur d’articles sur la gouvernance des entreprises, notamment dans le secteur coopératif et mutualiste.